Le drag apparaît aujourd’hui comme un puissant vecteur de remise en question des normes de genre et d’émancipation individuelle. En empruntant et en exagérant les codes vestimentaires, vocaux et gestuels traditionnellement associés aux sexes “masculin” et “féminin”, les performeur·euses de drag invitent à interroger la fixité des catégories de genre et à célébrer la multiplicité des identités.
Historiquement, les premières formes de drag remontent aux spectacles de vaudeville et cabarets européens et américains de la fin du XIXe siècle, où des artistes en travesti détournaient les représentations stéréotypées pour critiquer la société victorienne. Mais c’est dans les “ballrooms” underground de New York, à partir des années 1920 puis surtout après la Seconde Guerre mondiale, que le drag devient en art communautaire majeur pout les personnes queer racisées. Ces événements, documentés par Esther Newton dans Mother Camp: Female Impersonators in America (1972), ont offert un espace de création collective où se réinventent des identités hors du cadre hétéro-normatif.
Le mouvement de libération gay, et en particulier les émeutes de Stonemall en 1969, ont renforcé ce lien entre drag et militantisme. Des figures comme Marsha P. Johnson ou Sylvia Rivera ont souligné combien la visibilité en drag pouvait servir d’arme politique contre l’oppression policière et sociale. Les décennies suivantes, la contre-culture punk et l'émergence des théories queer, portées notamment par Judith Butler dans Trouble dans le genre: le féminisme et la subversion de l’identité (1990), ont consolidé l’idée que le genre est “une pérformance” plutôt qu’une essence biologique fixe.
L’avènement de la télévision a offert un nouveau tournant: avec RuPaul’s Drag Race (2009–), le drag a pénétré la culture de masse, célébrant à la fois la virtuosité artistique et la singularité de l’identité de chaque candidat·e. Si certains·es reprochent à cette diffusion grand public une récupération commerciale, le résultat principal reste l’élargissement du débat sur la diversité de genre à une audience globale.
Sur le plan théorique, le drag questionne directement la binarité en jouant avec les attributs genrés et en les exagérant, les performeurs·euses révèlent l’arbitraire des codes auxquels nous nous conformons quotidiennement. Cette démarche ouvre la voie à l’émérgence de figures non binaires, genderqueer ou genderfluid, qui s’affranchissent du modèle homme/femme pour inventer une palette infinie d’auto-identifications.
L’impact du drag sur l’émancipation de genre se mesure aussi dans les parcours individuels. Nombreux·ses sont celles et ceux qui, inspiré·e·s par une performance, ont trouvé le courage d’exprimer ouvertement leur identité, de changer de prénom ou de présenter leur genre différemment dans la vie quotidienne. Le drag devient alors un catalyseur d’empowerment, incitant chacun·e à se réapproprier son corps comme un terrain de liberté et de créativité.
Alors que les débats sur les droits de personnes trans et non binaires se multiplient dans l’espace public, le drag joue un rôle important. Il continue de faire vaciller les certitudes, de désacraliser les normes et d’affirmer que l’identité de genre est avant tout une aventure personnelle en perpétuel devenir.